Revue Cliniques Juridiques > Volume 1 - 2017

La Clinique du droit de Nancy

Aujourd’hui, l’enseignement théorique et scientifique ne suffit plus à satisfaire les étudiants en droit ; un enseignement pratique, clinique du droit, se présente comme une nécessité afin que soit dispensée une formation la plus complète et adéquate. C’est en constatant l’intérêt majeur d’un tel enseignement proposé dans d’autres facultés qu’il a été décidé, par une initiative estudiantine, de créer fin 2015 une association d’étudiants qui supporte aujourd’hui la Clinique de droit à Nancy. Si, ailleurs, l’impulsion créatrice a été portée par de grands noms de l’enseignement universitaire, à Nancy, ce premier souffle est venu des étudiants eux-mêmes. La Clinique de droit de Nancy a été créée par et pour les étudiants en droit. Outre la nouvelle formation mise ainsi à la disposition des étudiants, la dimension citoyenne de l’enseignement clinique devient incontestable. Ces deux intérêts de l’enseignement clinique se conjuguent parfaitement et certainement davantage encore lorsque, comme à Nancy, les étudiants sont les acteurs majeurs portant la structure. Ils sont ainsi des citoyens au cœur d’une riche expérience universitaire et professionnelle.

D’évidence, ce type d’organisation présente un défaut auquel il a été nécessaire de répondre : les étudiants ne peuvent pas se former eux-mêmes. S’il est intéressant qu’ils soient les acteurs des cliniques, ils ne peuvent pas être isolés. Afin de répondre à cette difficulté, la Clinique de droit de Nancy a recours à des partenariats très privilégiés avec le monde universitaire (la Faculté de droit de Nancy) et avec le monde professionnel (l’Ordre des avocats de Nancy). Ainsi, la clinique – qui repose sur une association étudiante un peu spéciale – peut marcher sur ces deux pieds et se présenter comme un trait d’union entre l’Université et la Cité.

La Clinique de droit de Nancy a été créée dans un souci de professionnalisation des étudiants. Ne le nions pas, la grande majorité des étudiants en droit ont eu la même sensation lorsqu’ils ont eu l’occasion d’intégrer le monde professionnel : les connaissances acquises au cours de leur formation universitaire étaient sur certains points très insuffisantes, sur d’autres très inutiles. Même les « cas pratiques » proposés dans le cadre des partiels ne correspondent en rien à « pratique ». Ainsi, l’enseignement traditionnel est, au mieux, considéré comme inadapté à la pratique. Il ne s’agit pas là d’une critique mais d’un simple constat : l’Université s’est éloignée de la Cité. Les membres de la cité ne comprennent plus aujourd’hui l’Université. Il faut y pallier car les étudiants formés par les Universités ont vocation à intégrer et à participer à la Cité, voire à en être des acteurs de premier plan. C’est à l’Université de se réformer afin de s’adapter aux attentes de la Cité. Aujourd’hui – et même si beaucoup reste encore à faire – l’apprentissage de la pratique est devenu à Nancy une réalité dont les étudiants tirent de nombreux intérêts en termes d’enseignement.

I – Présentation de la Clinique de Droit de Nancy

A – Présentation des activités

Les activités de la Clinique de droit de Nancy ont pour principale vocation un apprentissage de la pratique du droit. À ce jour, la jeune clinique de droit de Nancy est en mesure de réaliser trois grandes activités.

La première est celle de fournir une analyse juridique aux avocats du Barreau de Nancy. L’idée est la suivante : dès lors qu’un avocat a une question de droit plus ou moins pointue dans le cadre d’un dossier, il peut solliciter la Clinique de droit de Nancy afin que ses membres lui apportent une réponse précise et juridiquement justifiée. La jeunesse et l’organisation de la structure nancéienne – et, accessoirement, les lois et règlements – ne nous permettent pas de fournir de consultation juridique directement auprès des justiciables. Il ne s’agit pas d’être un « dispensaire » tel qu’à Bordeaux ; cela reste une « clinique » qui n’est pas, pour l’instant, pas accessible à tous les justiciables. À ce titre, en phase de test pendant la première année de notre exercice avec une petite quinzaine de cabinets partenaires, cette phase test a pris fin dernièrement par l’ouverture à l’ensemble des avocats inscrits au barreau de Nancy depuis moins de 5 ans.

La deuxième activité est la veille d’actualités juridiques. Là encore, ces brèves s’adressent à la pratique judiciaire et notamment aux avocats. Elles sont publiées toutes les semaines sur le site internet de la Clinique de droit de Nancy. Elles sont reprises et complétées dans un journal – le Clinicien – qui est publié sous format papier tous les 3 ou 4 mois. Ce dernier est composé des actualités majeures de la période concernée mais également de « focus » relatifs à une évolution juridique récente (loi El Khomri, loi J21, …).

Enfin, la troisième activité de la Clinique est la participation à des émissions de radios locales. À ce titre, les membres de la Clinique interviennent régulièrement dans une émission radio afin de présenter le cadre juridique afférent à un sujet particulier. Ce partenariat est récent (il a moins d’un mois) mais nous sommes déjà intervenus deux fois : une fois dans le cadre d’une émission relative à l’usage récréatif des drogues et alcools, une seconde fois sur l’engagement associatif étudiant.

B – Présentation de l’organisation de la Clinique de Droit de Nancy

Ces différentes activités de la Clinique de droit de Nancy reposent sur une double organisation.

D’abord, sur une organisation interne à la Clinique elle-même. La Clinique est constituée de différents pôles, chacun d’eux s’occupant d’une matière différente (social, pénal, affaires, …). Chaque pôle est composé de 4 ou 5 étudiants avec à leur tête, un responsable de pôle. Tel un chef d’équipe, celui-ci doit être un acteur de la réussite des missions qui sont confiées à son pôle. Il n’y a toutefois aucune hiérarchie : le responsable de pôle reste un étudiant clinicien comme un autre qui a toutefois la responsabilité du bon déroulement des activités.

Ensuite, sur une organisation externe à la Clinique prenant la forme de partenariats. Le premier – essentiel – est celui conclu initialement avec la Faculté de droit de Nancy. Ce partenariat permet d’utiliser les ressources de la Faculté, mais que certains professeurs, maîtres de conférences ou encore doctorants puissent intervenir afin d’aider au succès de la structure. Le second est constitué avec l’Ordre des avocats, cela afin de permettre aux étudiants de travailler sur les cas soumis.

II – De la nécessité d’une clinique juridique

A – De la nécessité pour l’étudiant

Aujourd’hui, à Nancy comme ailleurs, l’apprentissage de la pratique est une réalité. Cet apprentissage présente des intérêts plus qu’utiles à notre formation.

L’enseignement clinique permet d’abord de perfectionner le raisonnement juridique des étudiants. Dans le cadre de notre activité d’analyse par exemple, la nécessité d’un raisonnement structuré est première. L’avocat qui nous sollicite va lire notre rapport ; celui-ci doit être le plus précis et le plus justifié possible. De cette activité, on peut s’apercevoir de deux enseignements importants. Premièrement, la meilleure réponse ne peut être apportée qu’une fois confrontée à la pertinence des arguments opposés. Les analyses visent donc à apporter une réponse aux questions de l’avocat sollicitant ; mais aussi à lui faire remarquer les contre-arguments qui peuvent lui être opposés, avant d’y apporter des réponses.

L’enseignement clinique permet ensuite de perfectionner les qualités rédactionnelles. Qu’il s’agisse de l’activité d’analyse ou plus encore celle de veille juridique, les termes employés se doivent d’être précis et justes. L’importance du bon mot employé est tout à fait essentielle alors que les brèves doivent être courtes et justes. Sur ce dernier point, l’enseignement clinique nous permet également de perfectionner la capacité à procéder à des recherches juridiques. Les étudiants ne sont pas experts. Mais ils ont tous les outils à disposition pour rechercher les éléments qui manquent. Les ressources documentaires – en ligne ou à la bibliothèque universitaire – sont des outils précieux que les étudiants peinent à user à bon escient. Un des enjeux majeurs est la maitrise de ces bases de données, Il faut donc fournir à l’étudiant l’opportunité de les utiliser dans le cadre d’une situation professionnelle, afin qu’il puisse acquérir des mécanismes, automatismes, nécessaires à la pratique du droit.

L’enseignement clinique nous permet également de travailler vers une certaine vulgarisation du droit. Alors que les termes juridiques se doivent d’être précis, il importe également qu’ils soient abordables et compréhensibles par tous. Dans le cadre d’émissions radios par exemple, il faut intéresser le public en soulignant les points juridiques importants du thème abordé, sans que les auditeurs s’enfuient à la lecture de disposition législative ou règlementaire. C’est une nouvelle difficulté dont il résulte un enseignement car il faut « comprendre le droit » pour pouvoir l’expliquer au plus grand nombre ; « l’apprendre » simplement pour le restituer ne suffit plus.

La dimension professionnelle est une clé à la compréhension du droit qui est enseigné à l’Université. Si pour le comprendre, il faut d’abord l’apprendre, l’apprentissage universitaire est augmenté et revalorisé au moyen de l’enseignement clinique. Si ce dernier forge alors de bons juristes, on peut remarquer qu’il forge également de bons citoyens.

B – Un besoin de la Cité

La dimension citoyenne n’a pas été le premier objectif recherché lorsqu’a été créé à Nancy la Clinique de droit. La structure ne s’est adressée, dans un premier temps, qu’à un public particulier : les avocats. Toutefois, la dimension citoyenne de l’enseignement clinique est inhérente à cette nouvelle façon de procéder. Bien qu’accessoire, la dimension citoyenne participe à l’essence même de l’enseignement clinique et ce, tant à l’extérieure de l’Université – vers la Cité – qu’à l’intérieur de celle-ci.

Genèse de l’idée

Si la première des idées avait été d’ouvrir un dispensaire à la destination de l’ensemble des justiciables, la réalité s’est rapidement imposée. Ce type de structure, qui ne repose que sur des étudiants, ne permet pas de procéder de la sorte. Recevoir du public est en soi déjà compliqué ; répondre à ses questions d’ordre juridique, davantage encore. Outre les considérations légales et règlementaires1 – qui empêchent de procéder à des consultations juridiques – nos partenaires ont souligné une certaine imprudence à vouloir directement procéder de la sorte. De plus, après contact avec l’Ordre des avocats, celui-ci a rappelé que le Barreau de Nancy est assez petit et que l’offre de conseils juridiques gratuits est déjà grande. Ouvrir un dispensaire pourrait être perçu par les avocats du Barreau comme une nouvelle concurrence. Concernant l’Université, il a été souligné quelques difficultés relatives à la déontologie des professeurs et maîtres de conférence ainsi que des difficultés matérielles combinées du fait d’un nombre en constante croissance d’étudiants au sein de la faculté, que de sorte, il semblait délicat d’œuvrer directement de la sorte dans de bonnes conditions. Face à ces remarques, a été trouvé une solution : imposer un « filtre » entre la Clinique et le bénéficiaire de ses services. Ce système de filtre protège la structure et est, pour l’instant, nécessaire. À plus ou moins long terme, le développement de l’enseignement clinique à Nancy est espéré. Ce développement ne pourra se faire qu’avec de nouveaux partenaires (enseignants, avocats) qui œuvreront directement au sein de la Clinique. Œuvrer directement dans la cité est donc, à Nancy, l’objectif à long terme qui est fixé.

Pour un droit à la meilleure défense possible

Si la dimension citoyenne est pour l’instant limitée, elle n’est pas pour autant inexistante. D’évidence, les interventions sur les ondes de la radio locale participent à l’information juridique du public. La Clinique est sollicitée à cette fin et, sans intervenir directement auprès du justiciable, l’informe de ses droits.

Aussi, les interventions auprès des avocats témoignent de cette dimension. Récemment, il a été convenu avec le Bâtonnier d’ouvrir le partenariat avec la clinique à tous les jeunes avocats de Nancy. Au regard du public visé – les avocats – il a été fait le choix de s’adresser, d’abord, aux avocats ayant moins de 5 ans de barreau. La Clinique s’adresse à eux pour plusieurs raisons mais la première est d’ordre social. En effet, cette période est difficile pour les avocats qui s’installent, parfois seuls, parfois en collaboration2. Ils ne disposent que de très peu de ressources et surtout, ils n’ont pas le temps de procéder à des recherches poussées en passant quelques heures dans l’après-midi à la bibliothèque universitaire ou à chercher sur les bases de données numériques. Ceci permet d’axer notre apport citoyen sur un autre pan de la justice. Car, outre le droit d’avoir accès au Droit et à ses droits, le justiciable a également le droit d’avoir accès à la meilleure défense possible, contribuant ainsi à réduire la critique d’une Justice de Classes, où ceux qui ont les moyens d’avoir une bonne défense peuvent voir leurs droits et intérêts protégés et défendus à l’inverse des populations plus modestes.

Si beaucoup reste à faire, la Clinique de Nancy se démarque quant à sa dimension citoyenne. Elle n’est pas directe car la Clinique n’intervient pas pour l’instant directement auprès de la Cité. Cependant, la Clinique ne peut pas, du jour au lendemain, solliciter une place – de choix – dans la Cité. Il faut qu’elle fasse ses preuves avant d’être invitée à y participer directement. C’est un travail de longue haleine qui doit être fait à cette fin. Outre les sollicitations extérieures, ce travail passe également par une implication citoyenne à l’intérieur même de l’Université.

De l’engagement étudiant

La dimension citoyenne de cette clinique se forge, d’abord, en son sein. Rien ne sert de vouloir intégrer la cité si elle ne compose pas intrinsèquement de citoyens. À ce titre, la clinique de Nancy a réussi sa mission : celle de faire œuvrer des étudiants afin de faire changer les choses. Alors qu’en soi l’enseignement clinique au sein de la Faculté est une évolution intéressante, l’organisation structure renforce cette conscience citoyenne. Nous l’avons vu, tout repose à Nancy sur le travail en équipe. Personne n’œuvre seul.

Concernant les activités, la structure repose sur des équipes composées d’étudiants et animées par un responsable de pôle. Tout le monde discute, tout le monde cherche ensemble afin de remplir la mission confiée. Ainsi, toute idée, d’où quelle vienne, est intéressante et doit être étudiée, discutée. La composition des pôles étant hétérogène, les étudiants étant à divers niveaux de formations, mais aussi avec diverses spécialités d’études, cette pratique clinique permet une transmission circulaire et transcendante des savoirs, les positions d’autorité disparaissent petit à petit par la résolution d’affaires, pour laisser place à des positions de collaborateurs.

Dans un monde de plus en plus poussé vers l’individualisme et la mise en compétition entre les individus, où l’on observe une transmission verticale presque autoritaire des savoirs (où le plus grand détenteur reconnu de savoir se voit conférer une autorité difficilement questionnable), la structure nancéienne, du fait de son fonctionnement où les professeurs sont sollicités et non imposés (au contraire de l’enseignement traditionnel), a au moins réussi à redéfinir la relation professeur/étudiants, mais également la relation collaborative entre les étudiants qui en général sont davantage sujets au travail individuel voire individualiste.

Pour conclure, on peut souligner que la Clinique de droit de Nancy est encore jeune et manque de ce fait du recul nécessaire afin d’apprécier pleinement sa dimension citoyenne. Cette dernière étant limitée du fait de son organisation, elle n’est toutefois pas inexistante. Il serait d’ailleurs étrange de faire autrement, la dimension citoyenne étant inhérente à l’enseignement clinique.

Notes

  1. Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’avocats
  2. « Le blues des jeunes en robe noire », Gaëlle Picut, Le Monde 23 Aout 2016