Revue Cliniques Juridiques > Volume 3 - 2019

De l’importance de la pratique dans l’enseignement moderne du droit (1855)

Dmitry Meyer, О Значении Практики Въ Системь Современнаго Юридическаго Образовангя, Université impériale de Kazan, 1855, pp. 41-44 [Traduction par Nicolas Stuyckens]

Dès la fin de leurs études, on peut supposer que les étudiants maîtrisent les techniques essentielles pour appliquer certaines parties du droit à des cas réels. Les connaissances juridiques peuvent être approfondies à l’université et, pour enseigner aux étudiants à mettre en pratique toutes les connaissances juridiques, matérielles et formelles qu’ils ont acquises, il existe deux autres méthodes, dont l’une a été maintes fois incluse tant dans le cadre de notre pratique juridique nationale que dans celle d’autres pays, et toujours avec succès. Il s’agit de s’inspirer de faits réels pour mettre en scène des cas juridiques. Les rôles des requérants, des accusés, des avocats, des membres du tribunal et du greffier sont confiés à des étudiants stagiaires, à qui est offerte la possibilité de mener une procédure devant un tribunal d’une manière proche de la réalité, et bien entendu, selon les schémas appropriés, mais durant un laps de temps incomparablement plus long. En résumé des exercices passés, cet enseignement est certes très utile, mais il ne devrait pas prétendre à remplacer ce qui existe, ni constituer un moyen d’étudier la science du droit elle-même, comme le professeur Sandunov, de l’Université de Moscou, a tenté de l’expliquer, ce qui reviendrait à corriger complètement la théorie au lieu de la combiner rationnellement à la pratique. En outre, la mise en place d’une procédure dans son ensemble suppose, pour les étudiants stagiaires, des devoirs à domicile, les réunions dans l’établissement d’enseignement devant servir principalement à analyser le travail déjà réalisé et, pour les parties de la procédure qui, pour l’essentiel ou pour réduire le temps, doivent être énoncées verbalement, par exemple, un échange d’explications, de preuves, de décisions peut être fait oralement. La faiblesse de ces exercices réside dans leur caractère théâtral, qui n’est pas entièrement compatible avec la rigueur nécessaire à la pratique juridique universitaire, bien que, accessoirement, on ne puisse s’empêcher de rappeler le fait que, sous la conduite d’un bon mentor, en tenant compte du niveau de nos jeunes entrant dans la vie active, cette faiblesse peut perdre de son importance tout comme elle est invisible dans toute manœuvre militaire qui ne se compose de rien d’autre que d’exercices pratiques.

Pour tout cela, bien sûr, la mise en scène n’est pas, et de loin, le meilleur moyen d’améliorer la pratique juridique des étudiants. C’est la présence lors des consultations juridiques et des procédures de médiation ainsi que la participation active à celles-ci qu’il faut mettre en évidence, comme dans une sorte de clinique juridique.1 En fait, la profession d’avocat, tout comme celle de médecin, est une profession pratique. Par conséquent, si la formation pratique d’un étudiant en médecine se déroule à l’université, celle d’un avocat devrait se dérouler de la même manière, à l’ombre de la science, afin de pouvoir établir l’ascendance de cette dernière sur les activités pratiques de l’étudiant. Malheureusement, pour le moment, cette idée ne jouit d’une reconnaissance inconditionnelle que dans l’enseignement. Elle n’est toutefois pas entravée par des influences défavorables ou hostiles à son égard. S’il est dangereux pour la société d’admettre que les médecins officient uniquement sur des bases théoriques, ce n’est bien entendu pas moins préjudiciable pour elle, mais seulement moins tangible et moins visible, d’admettre à la pratique juridique officielle des jeunes qui ne sont familiers qu’avec la théorie enseignée par des professeurs, pour la plupart étrangers aux exercices pratiques, se différenciant essentiellement des professeurs de sciences médicales par le fait qu’ils n’ont pas été en mesure d’introduire les résultats d’une pratique rationnelle dans leur enseignement. Toutefois, les étudiants en médecine disposent de nombreux moyens de mettre en pratique leur savoir dans les nombreux établissements d’enseignement : des instruments chirurgicaux et obstétricaux, du matériel de soin, plusieurs cliniques et l’assistance de praticiens. Ces établissements ont le droit, pour assurer les exercices pratiques, de priver de nombreuses personnes d’une inhumation ordinaire, d’ouvrir et de découper des cadavres. Des milliers de patients sont confiés à ces établissements dans lesquelles les étudiants apprennent à utiliser leurs connaissances théoriques. Souvent, les femmes enceintes y perdent tout sentiment de honte en présence d’étudiants qui leur sont étrangers et représentent un atout aux activités du futur obstétricien. Enfin, des établissements tiers, sympathisants des efforts éclairés pour former des médecins qualifiés, ouvrent leurs hôpitaux aux étudiants.

Dès lors, dans la mesure où un étudiant en médecine est autorisé se former sur de vrais patients, alors, l’étudiant en droit devrait au moins avoir l’autorisation de participer aux procédures judiciaires qui, en théorie, lui sont déjà connues, ou à des affaires plus ou moins liées à celles-ci. C’est de cette manière que le jeune homme percevra toute l’importance de la pratique juridique, sera confronté et comprendra par lui-même les intérêts que la vie lui amènera à défendre, à quel point une préparation décente et des efforts constants sont nécessaires pour combler les lacunes éventuelles. La défense de la vie suscite la passion, qui, lorsqu’il n’est pas trop tard, intime une direction noble que seule l’audace permet de suivre. L’enseignement du droit cessera alors d’être une étincelle, abandonnée dans l’âme d’un jeune homme, gonflée de nobles impulsions, mais elle sera non moins facile à éteindre, et deviendra une flamme qui brûle, détruit le mensonge et n’étouffe pas la tentation du monde. Le reproche même de l’inexpérience, dans lequel se cache souvent le sophisme ou la voix de la conscience venue du tréfonds de l’âme, ne pourra plus désarmer inconditionnellement le jeune avocat et sera donc exprimé avec prudence et lisibilité.

La structure de cette clinique est très simple : les personnes qui ont besoin de conseils et d’assistance pour toute question liée à leur présence devant une juridiction quelconque s’adressent au responsable de la clinique et, en présence des étudiants, exposent le cas qu’ils souhaitent discuter, et dont les résultats devront être, en fonction des données, approuvées par le mentor2 ; à la demande de l’usager, le document approprié peut être rédigé gratuitement : une pétition, un mémorandum, une explication, un projet d’acte, etc. Si un même cas se répète, il peut être confié à l’un des stagiaires qui lui portera une attention particulière, de telle sorte que chaque cas reçoive l’attention qu’il mérite sous la direction et la responsabilité du mentor. L’activité pratique ne doit pas déboucher sur une action en justice, ce qui serait incompatible avec la mission d’un établissement d’enseignement. C’est pourquoi sont strictement exclus de ces activités universitaires toutes sortes de relations avec les institutions publiques, à la fois personnelles et écrites, et les actes fondés sur des lettres de créance. Il est entendu que le succès d’une telle consultation est uniquement déterminé par la rigueur et la praticité du conseil, par une direction conciliatrice et que, par conséquent, son développement servira à garantir son intérêt. Sur accord des usagers, cette clinique juridique pourrait agir dans une procédure de médiation. Bien entendu, ces consultations sont encore beaucoup plus instructives pour les stagiaires, car les deux parties sont entendues. Chaque partie pourrait choisir son représentant parmi les stagiaires, de sorte que la revendication soit exposée avec soin et discutée en détail. La décision la plus amiable devrait être prononcée selon le consensus général. Mais en soi, il est entendu que le conseil ne devrait pas avoir la signification officielle du tribunal arbitral.

Notes

  1. Je me permets cette expression, qui signifie que la clinique elle-même ne matérialise que l’application du savoir à l’environnement. Voir K. Kapp — statt Handbuch der medicinischen Klinik, 1841, Erlangen 1 volume. Avant-propos : La clinique est la combinaison de la plus simple observation de l’activité qui y est directement menée ; la clinique est le noyau recherché par le praticien et caché dans la coquille complexe de la théorie sous l’idéal de la gestion de la clinique médicale, si je comprends bien, etc. Certes, l’étymologie ne justifie pas cette définition de la clinique.
  2. Selon le témoignage du professeur Moroshkin, le professeur Sandunov a autorisé les étudiants à assister aux consultations juridiques se déroulant chez lui. Biographie de Sandunov dans le dictionnaire biographique — Professeurs de l’Université d’État de Moscou 1855