Revue Cliniques Juridiques > Volume 5 - 2021

Entretien avec Maxime Ngabirano, étudiant au sein de la Applied Human Rights Clinic de 2019-2020 et réfugié dans le camp de Kakuma

Un des objectifs de la première séance du Cycle de réflexions est de porter une attention particulière à l’expérience et aux savoirs développés par des cliniques ayant l’habitude d’opérer à distance et/ou en temps de crise. Une de ces cliniques est la Applied Human Rights Clinic du camp de réfugiés de Kakuma au Kenya. Elle a été fondée en novembre 2017 à la demande d’étudiant.e.s réfugiées à Kakuma qui avaient terminé le cours « Introduction aux droits humains » offert par l’Université de Genève dans ce contexte. L’Université de Genève abrite effet le programme InZone qui développe des enseignements universitaires en partie en ligne et en partie sur place dans différents camps de réfugiés, notamment celui de Kakuma. Les étudiant.e.s de ce camp ayant terminé en 2017 le cours introductif en matière de droits humains avaient émis le souhait de poursuivre leurs études dans ce domaine par un cours qu’elles.ils souhaitaient pratique et répondant aux besoins locaux. C’est ainsi qu’est née la  Applied Human Rights Clinic présentée plus en détails dans le Numéro 3 de la Revue1.

Dans ce cours entretien, nous posons trois questions à Maxime Ngabirano, étudiant dans la Applied Human Rights Clinic de 2019-2020 et réfugié à dans le camp de Kakuma.

Maxime Ngabirano, en tant qu’étudiant clinique à Kakuma, et en laissant de côté pour le moment la question de la pandémie de covid-19, pouvez-vous nous expliquer les défis rencontrés dans le travail clinique à Kakuma ?

Maxime Ngabirano : On rencontre ici différents types de problème dans notre travail clinique. Il y a des difficultés logistiques propres au contexte. Nous n’avons pas de bibliothèque. La connexion internet est mauvaise et les coupures d’électricité nombreuses. Les ordinateurs que nous utilisons sont anciens. Quand nous ne pouvons pas nous rendre au local où l’Université de Genève met à disposition des ordinateurs, nous n’avons ni connexion ni matériel pour travailler. Il y a aussi les difficultés climatiques de vivre dans le camp avec les très grosses chaleurs, les pluies diluviennes et la poussière. Enfin, la vie dans le camp est marquée par la pauvreté, la difficulté de déplacement à l’intérieur du camp, les accès limités à l’eau potable, aux soins, à des emplois, etc.  

A cela s’ajoute les difficultés à participer à une clinique juridique dans le système humanitaire. Il peut être dangereux à Kakuma de travailler sur les droits humains car nous sommes vite considérés comme des défenseurs des droits humains, ce qui peut causer des arrestations, des emprisonnements ou des courriers de danger de mort. Il y a aussi le risque de ne pas obtenir une relocalisation, et donc de rester dans le camp, si nous sommes considérés comme des fauteurs de trouble par les autorités. Plus généralement, il y a beaucoup de dépendance entre les réfugiés, la police et les autorités humanitaires et kenyanes. Cela a aussi une influence sur notre travail.

Il n’est pas non plus facile de mener des projets dans un camp. Il y a une pluralité de langues utilisées, un manque de ressources et de temps. Nous avons pu aussi le sentir dans nos liens avec les étudiants clinique de Genève et Nairobi participant au projet. Nous ne partageons pas la même vie. Nous n’avons pas les mêmes risques en faisant des droits humains et parfois nous n’utilisons pas le même langage.

Qu’avez-vous appris du travail à distance, en ligne et dans un contexte fragile avec cette clinique ?

MN : Tout d’abord, à Kakuma, nous utilisons des plateformes comme zoom depuis déjà de nombreuses années. Nous avons donc l’habitude de fonctionner avec ces technologies. Nous sommes également en contact continue par whatsapp avec tous les groupes qui participent au projet clinique en plus des conversations par zoom pour avoir plus d’échanges et mieux se connaître. Nous utilisons cependant les communications en ligne uniquement quand nous ne pouvons pas faire autrement car les distances sont trop grandes. Par exemple, sauf durant la pandémie, nous maintenons le contact en présentiel pour toutes les réunions du groupe des étudiants de Kakuma, même si la question des déplacements est un défi dans le camp. Pour le travail de droits humains que nous menons dans le camp, par exemple les entretiens avec les sages et leaders des communautés pour les interroger sur leurs attentes sur les formations en droits humains que nous donnons, nous insistons pour maintenir le face à face. En résumé, nous utilisons les méthodes en ligne uniquement quand c’est nécessaire car notre expérience montre que les informations passent mieux dans la communication directe dans un contexte comme Kakuma.

Nous insistons aussi beaucoup sur le fait que même si une partie des recherches juridiques se passent à Genève ou Nairobi, elles doivent toujours être contextualisées pour leur utilisation dans le camp. Le fait que nous soyons à distance ou en ligne ne doit pas affecter cela. Il faut donc que ces recherches prennent en compte ce qui se passe ici à Kakuma que nous seuls réfugiés connaissons. Les recherches et le projet doivent aussi prendre en compte les dépendances qui existent ici avec la police et les organisations humanitaires. Par exemple, les sages et les leaders ne vont pas pouvoir parler librement dans une formation si les organisations humanitaires sont dans la salle et certains sujets sont trop délicats pour être au cœur d’un projet clinique.

Enfin, nous avons appris à développer avec la vie dans le camp une grande flexibilité pour les imprévus qui nous sert aussi dans notre travail clinique.

Le coronavirus a affecté le Kenya et le camp de Kakuma. L’Etat kenyan a décrété une fermeture des écoles et universités pendant une longue période avec un passage en ligne pour celles qui le pouvaient. Dans le camp, des mesures additionnelles ont été prises par l’Etat kenyan mais aussi par le UNHCR comme des couvre-feux, des interdictions de se réunir et une obligation de port du masque. Quelle a été l’influence de ce contexte sur le travail de la Applied Human Rights Clinic ?

MN : Il y a eu des bonnes et des mauvaises choses avec la pandémie pour notre projet. Du côté des éléments positifs, nous pouvons souligner que pendant la pandémie, les trois différents groupes de la Applied Human Rights Clinic (étudiants cliniques de Kakuma, Nairobi et Genève) ont cherché et trouvé des fonds pour venir en aides à plus de 500 personnes âgées dans le camp en leur donnant des masques et du savon. Cela sortait du projet que nous menions mais il était important pour nous de venir très concrètement en aide à nos communautés en tant qu’étudiants de droits humains.

Comme notre projet de formation des sages et leaders aux droits humains prévue en mai a dû être repoussée du fait de la pandémie, les trois équipes d’étudiants cliniques se sont mises ensemble rapidement pour imaginer un autre projet que nous pourrions faire en respectant les mesures sanitaires et sécuritaires. Nous avons créé des vignettes pour WhatsApp sur les droits humains à faire circuler dans le camp pour sensibiliser les personnes réfugiées aux droits des enfants avec handicap. 

Nous avons ainsi renforcé nos liens entre les trois équipes d’étudiants et développé des projets qui se sont déroulés à distance et en ligne mais qui avaient un impact très concret ici à Kakuma. Nous avons aussi utilisé ce temps pour nous familiariser davantage sur le droit (international, national et coutumier) autour du sujet de notre formation qui est les droits des enfants qui vivent avec un handicap.

Du côté des mauvaises choses, nous avons dû pour une période annuler tous les rendez-vous que nous faisions en présentiel avec l’équipe de Kakuma dans les locaux de l’Université de Genève. Nous n’avions donc eu que difficilement accès à des ordinateurs et à internet pour une période. La formation que nous devions donner en mai avec la venue des équipes de Genève et Nairobi à Kakuma a aussi été suspendue, engendrant une grande incertitude dans l’équipe des étudiants cliniques de Kakuma et auprès des sages et des leaders auprès desquels nous nous étions engagés. Enfin, le programme InZone de l’Université de Genève a décidé dans cette période d’utiliser l’argent prévu pour la Applied Human Rights Clinic pour d’autres projets, ce qui remet actuellement en cause la finalisation de notre travail clinique. 

En résumé, la pandémie de covid-19 a permis de réaliser de nouveaux projets mais a rendu notre situation encore plus fragile. Il y a des propositions actuellement pour que l’Université de Genève passer dans un modèle uniquement en ligne pour finir la formation que nous avons initié mais notre expérience montre que cela marche difficilement dans un contexte comme le camp de Kakuma avec des faibles ressources, des rapports de dépendance très forts et la nécessité de créer des rapports de confiance.

Notes

  1. D. Carron, « Applied Human Rights : des cliniques juridiques à l’épreuve d’un camp de réfugiés au Kenya », Cliniques juridiques, vol. 3, 2019 [http://cliniques-juridiques.org/?p=503].