Revue Cliniques Juridiques > Volume 3 - 2019

Cliniques juridiques (1904)

Szymon Rundstein, Studya i szkice prawne, Polskie Towarzystwo Nakładowe, 1904, pp. 229-236 : "III. Kliniki prawne"[Traduction par Nicolas Stuyckens]

Les séminaires et les cours dits travaux pratiques ne sont pas systématisés à ce jour : l’on n’a pas introduit de graduation, l’on n’a pas déterminé de frontières fixes. Il existe des séminaires historico-juridiques pendant lesquels le professeur et ses disciples expliquent les monuments de la législation qui désormais font partie du passé : un riche champ pour les excursions comparatives, si le professeur n’insiste pas trop sur la sèche interprétation philosophico-dogmatique. Ils (les étudiants, ndlt.) se réjouissent de la considération du cours relevant du domaine de l’interprétation de la législation en vigueur : les participants au séminaire choisissent le sujet à leur guise, ils travaillent sur les exposés qui, analysés sous la loupe critique du professeur servent de base à des discussions exhaustives. Avec les sujets civilistes, il faut prendre en considération le droit romain. Le Corpus Juris sert donc de jauge et permet de faire ressortir de manière très nette les variations et les caractéristiques de la législation contemporaine. Pendant les cours de procédure, les auditeurs s’exercent à la rédaction d’actes pertinents, ils font connaissance avec la dynamique du droit. Enfin, lors des séminaires analytiques, au le premier plan se trouve la lecture des textes de la constitution, des accords internationaux, des dispositions administratives entremêlées de discussions et des règlements des questions sinueuses. Dans le domaine de la criminalistique, la pédagogie contemporaine n’a pas encore rompu avec les traditions du dogmatisme « classique » : au lieu de faire connaitre aux étudiants les « criminels » — on focalise l’attention principalement sur l’analyse du « crime » : à ce jour, les exposés dogmatiques prédominent.

Ces cours pratiques ont beaucoup en commun avec les séminaires, consacrés exclusivement à la casuistique. Ici la théorie joue uniquement un rôle auxiliaire et le professeur insiste principalement sur le savoir lié à la mobilisation rapide des ressources appropriées : l’étudiant doit classifier, différencier ; il doit déterminer plus profondément la nature d’un problème donné, résoudre un « casus » précis et motiver son avis de manière appropriée. Quelque chose comme des exercices sur les fantômes, comme les opérations sur les cadavres pratiquées par les médecins débutants. La résolution de problèmes controversés doit être parfois présentée sous la forme d’un exposé motivé : le résultat final doit être parfois étayé des données de la pratique juridique et de l’appareil scientifique. Cependant certains professeurs exigent des solutions orales « ex abrupto » – méthode quand même erronée car on ne peut pas exiger des débutants de repérage rapide dans les méandres de la casuistique propre aux codes. Les séminaires de ce type nécessitent déjà une préparation de fond et la connaissance de la branche donnée des sciences juridiques.

Les séminaires « scientifiques » occupent une place tout à fait distincte : ici les participants, de futurs candidats aux postes de professeurs, travaillent sur les problèmes particuliers de leur spécialité. Ici fleurit le savoir « pur ». Ici, directement sous la houlette du spécialiste vers lequel affluent les adeptes de la jurisprudence, naissent les ouvrages scientifiques, monographies et études. On peut nommer ces séminaires des « stations scientifiques ».

C’est approximativement de cette manière que se présente la charpente de l’organisation des séminaires juridiques en Allemagne, en Autriche et en Suisse. Celui qui a eu l’opportunité de connaitre leur agencement de plus près, sait qu’elle présente des lacunes et assez sérieuses de surcroit. Celui qui a pris part aux cours de casuistique n’a probablement pas pu s’empêcher d’ébaucher un sourire ironique en voyant comment, par exemple le professeur de droit pénal discute tout à fait sérieusement avec les étudiants des cas inventés : quel air ridicule ont les réflexions tenaces sur la casuistique scolastique des sempiternels « excessus mandati », « dolus generalis », « alias facturus », « aberratio ictus », « error in objecto ! ». Le professeur demande tout à fait sérieusement : « si les fiancés, en voulant s’empoissonner, au lieu du poison ont bu par erreur… de l’huile de ricin — comment doit-on qualifier ce fait ? ». Ou bien : « le gendre, en voulant se débarrasser de la belle-mère, lui conseille de voyager souvent en train car il présume que pendant l’accident ferroviaire, elle peut perdre la vie. Après avoir écouté ce conseil, la belle-mère part en voyage. Effectivement la catastrophe a eu lieu et la belle-mère a péri. Est-ce que le gendre en est responsable ? ».

On peut dénombrer plus d’exemples similaires. Cette humoristique involontaire a cependant des points positifs : elle habitue l’esprit à une certaine gymnastique. Néanmoins elle ne fait pas connaitre la vie réelle à l’auditeur : le participant au séminaire est en mesure de déterminer parfaitement les différences les plus subtiles, appliquer le paragraphe adéquat, citer la littérature mais en contact direct avec un cas réel (souvent beaucoup moins complexe que les figures de papier mâché des ensembles casuistiques) il laissera sans réponse la personne qui lui demande conseil. On raconte qu’il y a 50 ans, dans les facultés de médecine des universités mineures en Allemagne, faute du matériel clinique, les étudiants apprenaient les amputations… sur les carottes. Il faut admettre que les juristes contemporains ne se sont pas éloignés beaucoup de ces modèles d’il y a un demi-siècle. Et ce, même si dans les recueils de Kohler, Liszt et d’autres nous avons plusieurs exemples de la pratique judiciaire. Mais tout cela est trop abstrait, privé de vie, sans « nerf de réalité ».

Pour prévenir cette excessive scolastique des cours casuistiques, l’on a proposé l’implantation des « cliniques juridiques » auprès des universités. Pour parler en langage plus compréhensible, on a l’intention d’ouvrir les bureaux du conseil juridique gratuit pour la population démunie. Le bureau doit être situé près l’université, sous la direction du professeur désigné par la faculté. Les conseils sont prodigués par les spécialistes en présence des étudiants qui, de cette manière, peuvent faire connaissance avec réalité en prenant part à la discussion, en répondant aux questions et en rédigeant les actes requis (projet du professeur Frommhold).

Ce projet a été applaudi dans la presse générale et – bizarrement – a provoqué le mécontentement des juristes. À juste titre Picard dit des juristes : « c’est en dehors des Jurisconsultes que se sont formés les mouvements de réforme… ils ont constitué plutôt un élément de stagnance et de résistance ».

Nous résistons toujours aux changements et ne parvenons pas à nous débarrasser du conservatisme. Et dans le cas donné, les arguments rapportés par les adversaires des cliniques juridiques sont complètement infondés. Observons le raisonnement de ceux qui ne veulent pas accepter cette nouvelle et si originale réforme.

Avant tout, ils maintiennent que dans la pratique des bureaux gratuits il n’y a pas beaucoup de cas réellement intéressants et instructifs. Sans doute, une fois tous les 2 ans y trouve-t-on un cas intéressant. Cependant ce sont les cas ordinaires, communs, quotidiens qui sont les plus instructifs. Grâce à ce matériel « ordinaire », le juriste débutant peut comprendre le mieux l’incidence du droit sur la vie. Un médecin, qui a vu en clinique les cas rares uniquement, ne sait pas soigner une pneumonie ! Nous ne voulons pas de « théâtrologie » juridique — c’est bon pour les traités savants. Les cours donnés lors des séminaires devraient avoir pour objectif de traiter des faits ordinaires.

Le deuxième reproche se base sur le fait que les étudiants ne peuvent pas donner de conseils de manière autonome car parfois ils ne sont pas en mesure de comprendre un cas donné dans lequel se croisent plusieurs questions de branches différentes : du droit civil, commercial, pénal, administratif. Mais qui dit que les étudiants devraient donner des conseils ? Les auditeurs jouent un rôle passif — le professeur donne le conseil. Après le départ de clients, l’étudiant qui a rédigé le procès-verbal lit le cas le plus intéressant indiqué par le professeur. Ceci sert de toile de fond à la discussion, le professeur expose pourquoi il a répondu ainsi aux questions du client et pas autrement, les étudiants l’interpellent et lui demandent des explications. Je pense qu’il est inutile de parler plus largement des bienfaits d’une telle discussion.

Le troisième reproche est le plus sérieux. Les adversaires disent que les gens se rendent chez un avocat pour demander un conseil dans le cadre de questions parfois très délicates : une épouse demande si dans un cas précis elle peut divorcer de son mari, la mère d’un enfant illégitime demande un conseil relatif à la pension alimentaire, etc. Bien évidemment, même le plus pauvre ne voudra pas parler des secrets de sa vie devant un auditoire d’étudiants : il craint les rumeurs. D’ailleurs, il n’est pas agréable d’avoir la conscience que les choses un peu plus privées font l’objet de discussions d’un cercle élargi de personnes. Mais ici également, on peut trouver facilement une solution. Avant tout, on explique aux clients que le secret professionnel sera gardé et que les étudiants sont tenus par la parole d’honneur qu’ils ont donné de garder le silence. Ensuite, l’auditoire ne devrait pas être trop nombreux, 15 à 20 personnes au plus. Si le bureau est dirigé par quelques professeurs, le nombre d’étudiants présents peut augmenter. Enfin, toutes les questions ne se distinguent pas par un caractère délicat et trop personnel. Au pire, les femmes ne vont pas bénéficier de la « clinique ». Il en va de même dans les facultés de médecine des universités mineures dans lesquelles les professeurs de gynécologie se plaignent de manque chronique du matériel clinique.

La technique d’aménagement d’une telle « clinique » avec une bibliothèque adéquate à portée de main ne nous intéresse pas plus que ça. Nous signalons seulement un nouveau tournant que l’on peut apercevoir dans la pédagogie juridique. En Allemagne, l’idée de fonder de telles cliniques a été abandonnée ; quand elle commencera à germer — les cliniques deviendront une nécessaire institution auxiliaire des facultés du droit.